C’EST DU LOURD !... Ou l’art de souffler le chaud et le froid… Ou donner le bâton pour se faire battre ?!...
En gras : le encore plus bizarre…
« Vœux à la Cour des comptes - Allocution de M. Philippe Séguin, Premier président - Vendredi 18 janvier 2008 à 12 h
Je vous remercie, Monsieur le Procureur général, pour les souhaits que vous venez de formuler. En retour, recevez ceux que j'exprime pour vous-même et le Parquet. Cette année encore, nous avons travaillé dans la meilleure des intelligences, et je crois pouvoir dire que ce fut pour le plus grand bien de notre institution. Je remercie également l'association des magistrats et anciens magistrats et son président. A leur intention, ainsi qu'à l'intention de l'ensemble des personnels de la Cour, CMSE , rapporteurs, experts, assistants, agents administratifs et de service, je forme, à mon tour, des vœux très fervents. Et j'associe à ces vœux l'ensemble des magistrats et des personnels des chambres régionales et territoriales.
Mes chers collègues, Mesdames et Messieurs,
J'avais pris l'habitude, à l'occasion de cette cérémonie des vœux, de faire un bilan de l'année écoulée et d'évoquer dans le détail l'évolution de la situation de chacune des catégories de personnel de la Cour. Si vous le voulez bien, je vais déroger à l'usage. Il y aurait pourtant beaucoup à dire. Il y aurait à évoquer les nombreuses manifestations qui ont marqué cette année 2007 et les traces qui en resteront. Il y aurait à remercier ceux et celles qui en furent les artisans - cela viendra en son temps. Il y aurait à évoquer les travaux, parvenus à leur terme, qui ont contribué à l'amélioration de nos conditions de travail et de vie. Il faudrait parler des avancées du dossier statutaire des agents de catégorie B et C, ainsi que de l'accord que le Conseil d'Etat vient de donner il y a deux jours à peine, au projet de décret créant un corps d'attaché des juridictions financières et un statut d'emploi de chef de mission des dites juridictions ; il y aurait à évoquer, aussi, l'accueil de dix experts supplémentaires ou, encore, la reconnaissance de notre droit à contrôler les comptes de ces forteresses, longtemps prétendues inexpugnables, que constituent les pouvoirs publics ; il y aurait à rappeler ce que furent les premières certifications... Il y aurait à évoquer l'aboutissement de nos travaux sur la réforme de nos procédures... Il y aurait aussi à dire les efforts consentis pour compenser notre prochain désengagement de l'ONU - efforts couronnés par la conquête de trois nouveaux commissariats aux comptes : ceux de l'organisation mondiale du commerce, de l'organisation de l'aviation civile internationale et de l'organisation mondiale du tourisme. Il me faudrait encore évoquer le lancement des travaux de la tour des archives, non pour rappeler tout ce que cette opération va apporter à la Cour mais pour féliciter la direction des moyens généraux qui a conduit les opérations de transfert de main de maître et pour remercier de leur compréhension et de leur esprit de responsabilité l'ensemble des personnels concernés par ce déménagement. Qu'ils sachent que nous ferons tout pour que cette période se déroule dans les meilleures conditions et pour qu’ils soient réintégrés dans les murs de notre maison le plus vite possible. Je me suis rendu dans l’immeuble de la rue des Petits Champs en début de semaine et j'ai pu discuter avec nombre de ses nouveaux occupants. Je voudrais que cet immeuble vive, et en particulier que ses salles de réunion soient utilisées. Il a été ainsi décidé que c’était là que se tiendrait la prochaine réunion du CRPP. Je souhaite que les agents restés rue Cambon contribuent également à réduire cet éloignement provisoire en se rendant rue des Petits Champs chaque fois que cela pourra être utile au travail d'équipe. Mais, je le répète, là ne sera pas l'essentiel de mon propos d'aujourd'hui. Je voudrais, en effet, au seuil de cette année 2008 parler de la Cour et de son avenir. Et je me réjouis que, pour la circonstance, nous soyons si nombreux et que beaucoup de magistrats honoraires soient présents... Cela fait un peu plus de 3 ans et demi que j’occupe mes fonctions. Il y a eu beaucoup de changements durant cette période. Mon immodestie dût-elle en souffrir, il me faut vous rappeler que, le plus souvent, je n’en ai pas été l’initiateur. Les changements dont je peux revendiquer la paternité sont en fait très limités : j’ai fait installer des sous-verres dans les couloirs et j’ai décidé la climatisation de la Grand’ Chambre. Pour le reste, je n’ai fait qu’appliquer des décisions dont le projet avait été formé ou le principe retenu avant moi, souvent depuis très longtemps, mais dont les difficultés prévisibles avaient pu différer l'exécution : je pense - par exemple - à la réhabilitation de la tour des archives, au statut des magistrats, au code de déontologie... De la même manière, l'idée de la prescription extinctive de responsabilité ou de la réforme de la remise des débets me sont antérieures, même si c'est de peu. Et quand les décisions n'avaient pas déjà été prises, les réformes qui ont pu être conduites répondaient à des nécessités évidentes : ainsi en allait-il de la réforme des procédures, de la conquête de notre autonomie de gestion ou de la création d'un programme LOLF, dérogatoire, qui nous soit propre. Tout cela pour dire - à toutes fins utiles - que je ne suis pas un frénétique de la réforme. D'ailleurs, chacun sait que, dans une vie antérieure, j'étais classé parmi les conservateurs. Mais il se trouve que j’ai été porté à la tête de la Cour dans des circonstances très particulières, je pourrais même dire : des circonstances exceptionnelles. Des circonstances caractérisées :
- par la mise en œuvre de la LOLF et, peu après, de la loi organique relative aux lois de financement de la Sécurité sociale avec toutes leurs implications, au-delà de la seule certification,
- par la montée en puissance de l’exercice de son droit de contrôle par le Parlement, et celle de l’évaluation,
- par l’intrusion de la Cour européenne des droits de l’homme dans nos procédures,
- par le lancement, depuis peu, mais à quel rythme et de manière si radicale, de la réforme de l’Etat, évènement dont les conséquences et les implications, je vous le dis sans ambages, me paraissent encore sous-estimées par beaucoup.
C’est le mérite de mon prédécesseur François Logerot d’avoir pressenti l’ampleur des changements à venir et d’avoir appelé l'ensemble de la Cour aux réflexions stratégiques que l’on sait. C’était à son successeur d’utiliser au mieux leurs fruits. Et je m’y suis attelé du mieux que j'ai pu. Il fallait dans ce contexte entièrement nouveau que nous nous efforcions de donner toute sa place à la Cour. En procédant aux changements et aux évolutions nécessaires. Tout en conservant évidemment l’essentiel :
- son statut de juridiction ;
- son indépendance ;
- son rang de grand corps de l’Etat.
Cela n’allait pas de soi et cela ne va toujours pas de soi. Certains voulaient faire de la Cour un quasi-service du Parlement. L'idée ne venait pas seulement de groupes de réflexion puissants et influents. Des personnalités qui jouaient un rôle dans la conduite de la réforme de l’Etat s'étaient fait également, nous le savons, les promoteurs de cette fausse bonne idée. D’autres voulaient passer la Cour à la tronçonneuse et séparer les fonctions de certification, d’évaluation et de jugement. Bref : souhaitaient scinder notre institution en plusieurs morceaux. Alors, il a fallu plaider, débattre, esquiver, convaincre, pour empêcher le pire. Ces efforts n’ont pas été vains. En 2007, nous aurons quand même fait confirmer solennellement par deux présidents de la République successifs notre positionnement et la complémentarité de nos métiers, en d'autres termes : notre intégrité. Et tout notre bicentenaire a été organisé de manière à faire comprendre et prévaloir ce point de vue. Mais nous ne devions pas être que défensifs. Il fallait aussi, dans l'esprit même des réflexions stratégiques, que nous procédions aux changements immédiatement nécessaires et que nous nous préparions à ceux dont la nécessité serait bientôt avérée. Comment, en effet, aurions-nous pu prétendre être au cœur de la réforme de l’Etat sans en épouser l’esprit ? Comment aurions-nous pu prétendre être le moteur de la réforme de l'Etat en restant inertes ? Nous ne pouvions éviter de nous poser ces questions simples, nécessaires et incontournables, et les décliner, en d'autres questions plus précises encore :
- A quoi servons nous ?
- Pourrions-nous être plus utiles ?
- Que coûtons-nous à la collectivité ?
- Que lui apportons-nous en retour ?
- Pourrions-nous améliorer notre efficacité et notre efficience ?
Alors, du coup, c'est vrai, pour reprendre l’expression utilisée ici même l’an dernier par Monsieur le Procureur général, beaucoup de trains sont partis. Mais qu’on se rassure, aucun n’est parti pour rien et je revendique la cohérence dans la gestion du réseau. Toutes les initiatives prises l'ont été dans une seule et même perspective : nous préparer à relever les défis qui nous attendent. Dès 2005, nous avons tenu un colloque au Conseil Economique et Social pour préparer les esprits et le terrain en matière de responsabilité des gestionnaires. Nous avons, par ailleurs, et dans la même perspective, travaillé, avec le ministère de la justice, à une meilleure répartition des tâches entre les juridictions pénales et la CDBF pour que, le jour où nous demanderions à juger les ministres et les élus, nous ayons des contreparties à leur offrir en termes de dépénalisation. En revoyant de fond en comble nos procédures, nous nous sommes mis en mesure d'accueillir avec toutes les garanties possibles ces nouveaux justiciables. Nous nous sommes également fait une place dans la procédure actuelle de remise de débet afin de préparer pour demain un système de sanction plus efficace. S'agissant de la certification des comptes des collectivités territoriales, nous avons occupé le terrain - je l’ai fait moi-même dans chacune des Chambres régionales des comptes - pour qu’il ne soit pas occupé par d’autres et pour que nous puissions en avoir demain nous-mêmes la maîtrise … Pour nous préparer la meilleure place sur le terrain de l'évaluation, nous avons obtenu le rattachement à la Cour du comité d’enquête sur le coût et le rendement des services publics, (dont nous souhaitons, en particulier, bénéficier des ouvertures vers la société civile et des capacités à mobiliser les inspections générales), nous avons développé la médiatisation de nos rapports thématiques, nous avons systématisé l’étude des effets de nos recommandations. Et à l’heure où le processus de réforme démarre, nous avons obtenu - c'était le 5 novembre 2007 - que le Premier président soit chargé d'en proposer les principes au lieu de nous les voir imposer, au lieu d’avoir à attendre, comme d’autres, les dégâts que ne manqueraient pas de commettre les "voltigeurs" de quelque revue générale des politiques publiques. Regardez donc ce qui se passe ailleurs. Un beau matin, on y apprend qu'on va réduire le nombre de directions, qu'on va fusionner-là pour le coup, c’est vrai - qu'on va rationaliser, qu'on va économiser… Et ce n'est pas fini. Parce que, je le répète : la réforme de l'Etat est en marche. Alors sachons bien nous convaincre que la Cour ne pourra rester elle-même, la Cour ne pourra obtenir la place qu'elle est en droit de revendiquer que si nous savons nous-mêmes bouger. Et faire la preuve de notre utilité dans le contexte nouvellement créé. Car, mes chers collègues, nous ne détenons aucune créance sur la Nation. Gardons-nous de croire que nous lui ferions déjà assez d’honneur en nous contentant d’exister. Nous devons donc être utiles, mieux : indispensables. Et le démontrer jour après jour. Et s'il était besoin de nous persuader de ces nécessités, si nous étions tentés de croire que rien de tout cela n'est nécessaire, que notre rang et notre statut sont immuables, qu'il suffira toujours à l'un d'entre nous de dire son appartenance pour accéder aux plus hautes responsabilités de l'Etat, alors relisons le discours qu'a prononcé le président de la République il y a tout juste une semaine à Lille, lors de ses vœux aux corps constitués et aux fonctionnaires. Le chef de l'Etat a annoncé, entre autres choses, qu'il n'y aurait bientôt plus de classement à la sortie de l'ENA. Cela veut dire que, demain, une hiérarchie des corps ne sera plus théoriquement fixée chaque année à la sortie de l'ENA par quelques jeunes gens au demeurant bien imparfaitement informés. Non, la hiérarchie des institutions, plus que jamais, - car c'était déjà pour une bonne part le cas - elle dépendra de leur utilité qui elle-même sera fonction de leur professionnalisme, d'une part, des missions qui leur seront dévolues, d'autre part... Le développement de notre professionnalisme, justement, nous avons commencé à y travailler... et nous poursuivrons nos efforts au cours des prochaines années car c'est un enjeu majeur que nous devons, collectivement, relever. Quant aux missions, je n'en vois pas de plus importantes, de plus valorisantes, que celles que, précisément, la réforme peut consacrer. Nous nous voyons en effet offrir la chance d'être au cœur de l'Etat. Mais, quelques mots, tout d'abord, sur la nature de ma propre contribution, pour éviter tout malentendu. Je n'ai pas été chargé de faire la réforme à moi seul. A ce stade, c'est un avis que je rends, sur son invitation, au Président de la République, dans la perspective de la réforme que lui-même et son gouvernement envisagent de conduire dans le cadre de la réforme générale de l'Etat. Cette réforme annoncée, j'applaudis à son principe et je me contente d'ébaucher des pistes pour aider à la concevoir. Je ne manquerai d'ailleurs pas de joindre au document que j'élabore, des appréciations ou propositions qui auront pu m'être adressées. Ensuite, ce sera à l'exécutif de faire ses choix et de procéder, pour fixer les modalités de leur mise en œuvre, aux concertations qu'il jugera opportunes. Cela dit, de ces pistes que j'évoque sans toujours - je le souligne - trancher sur tout, ni proposer des solutions clés en mains, je vais vous donner les grandes lignes puisqu'il est probable, je vous le concède, que mon avis ne soit pas totalement négligé. Ce que je vais dire au Président de la République ne va guère vous surprendre : je vais lui dire que la Cour devra juger, certifier, auditer et évaluer. Et que sa réforme devrait en conséquence se décliner selon trois axes.
1 - Premier axe : organiser une responsabilité effective des gestionnaires.
Le Président de la République a lui-même déjà repris à son compte ce que la Cour souhaite depuis de si nombreuses années : une réforme profonde et globale du régime juridictionnel concernant les comptables et les ordonnateurs, pour une responsabilité effective et adaptée au nouveau contexte de la gestion publique. Il s’agirait de mettre fin à la dualité de juridiction Cour/CDBF, de moderniser les infractions et les sanctions et d’étendre le champ des justiciables, notamment, aux ministres et aux élus locaux. La Cour et les chambres régionales seraient juges en première instance. La CDBF pourrait être maintenue et servir d’instance d’appel. Le Conseil d’Etat quant à lui resterait juge de cassation. Il faut bien voir que la situation actuelle n’est, de toute façon, plus tenable. La plupart des débets que nous prononçons font l’objet d’une remise gracieuse par le ministre. Le système de mise en cause des gestionnaires devant la CDBF est quant à lui resté singulièrement bridé. Qu'on se rassure : il ne s'agit pas de lâcher la proie pour l’ombre : la proie du jugement des comptes (mais vous admettrez avec moi que c’est une proie bien peu nourrissante…) pour l’ombre d’une compétence plus large qui n’arriverait pas à prendre forme. Au contraire, nous pouvons proposer une modernisation des infractions, y compris en matière de tenue des comptes, ce qui redonnera un sens et une portée à notre activité juridictionnelle, y compris sur les comptables. Je ne réfléchis pas seul sur ce sujet. Monsieur le Procureur général m’apporte son aide active et très précieuse et je veux le remercier pour ses suggestions dont je me ferai le porte-voix auprès du Président de la République. Ne nous y trompons pas : une telle refonte de nos compétences juridictionnelles n’est rien moins que l’occasion pour la Cour de devenir ou redevenir une véritable juridiction. J’ai bien conscience que cela impliquera un énorme effort de formation. J'ai déjà eu l'occasion de dire que nous y étions résolus et que nous nous y préparions.
2 - Deuxième axe : étendre le champ de la certification.
Dans ce domaine, la nouveauté, ce sera la future certification des comptes des collectivités territoriales et établissements publics divers. En la matière, la question n’est pas de savoir si on certifiera ou non les comptes des collectivités territoriales mais qui le fera. Nous avons tout intérêt à prendre les devants et à défendre notre cœur de métier avant de nous faire doubler par d’autres organismes. Il faut que ce soient les juridictions financières qui, sous la houlette de la Cour, soient officiellement chargées de cette nouvelle mission. Je dis bien sous la houlette de la Cour, car elle seule pourra disposer de l'autorité nécessaire pour organiser et diriger l'intervention d'autres prestataires. Nous ne devons pas en effet risquer l’embolie. On pourra d'ailleurs très bien imaginer une mise en œuvre progressive, sur les comptes les plus significatifs. Et on devra forcément prévoir que la Cour sous-traite le plus gros des tâches de vérification à des commissaires aux comptes privés voire, pour partie, au réseau du Ministère des finances, selon des modalités nouvelles d'organisation à définir.
3 - Troisième axe : se donner les moyens nécessaires à l'audit et à l'évaluation des politiques publiques.
Dans ce domaine, il faut bien le dire, l’organisation actuelle de la Cour et des Chambres régionales des comptes n’est plus seulement un handicap ; elle ne nous permet pas d'envisager de remplir de manière satisfaisante notre mission dans son ampleur nouvelle. Je passe sur les délais nécessaires aux enquêtes communes (de deux à trois ans alors qu’aujourd’hui le Parlement nous demande de répondre à des demandes d’enquêtes en moins de 8 mois). Je passe aussi sur leurs résultats : pour la dernière enquête commune en date, nous avons été obligés « d’anonymiser » toutes les citations de collectivités territoriales tant il apparaissait évident que notre échantillon n'était pas représentatif… Nous ne pouvons continuer à nous satisfaire des procédures actuelles d’enquêtes communes qui reposent essentiellement sur le volontariat des CRC et la disponibilité des personnels une fois épuisé le champ des contrôles organiques récurrents. Les politiques sont de plus en plus partagées entre l’Etat et les collectivités territoriales. Nous ne pouvons continuer à fonctionner de manière si cloisonnée. Il nous faut donc : unifier la programmation, unifier les méthodes de contrôle et faciliter les contrôles croisés. Il faut que lorsque nous avons une évaluation de politiques publiques à mener, nous puissions définir des échantillons représentatifs de collectivités à contrôler. Il nous faut aussi simplifier les procédures de contradiction applicables qui font qu’aujourd’hui, une observation issue d’un contrôle d’une collectivité et destinée au rapport public qui peut faire l’objet de 4 à 5 envois successifs à la contradiction. Parallèlement, il nous faut sortir d’une logique de contrôles organiques récurrents pour dégager les moyens à affecter à des évaluations transversales. Le contrôle organique reste nécessaire mais il pourrait être programmé de manière plus efficace et davantage ciblé sur la base d’une analyse de risques. La prescription extinctive exonère d'ailleurs désormais de ces contrôles qui étaient menés uniquement pour décharger les comptables. C'est assez dire que nous ne pouvons faire l'économie d'une réorganisation de l'ensemble Cour-CRC. Il s'agit même d'un préalable. D'un préalable à l'ensemble de la réforme. D'un préalable dont la satisfaction donnera tout leur sens et toute leur portée aux innovations en matière de responsabilité et de certification. Cette réorganisation elle paraît d'autant plus indispensable quand on prend en considération les données démographiques des juridictions financières. En la matière, les CRC posent des problèmes essentiellement quantitatifs. La Cour pose, elle, des problèmes qualitatifs. Les CRC vont être confrontées à des départs massifs en retraite, et d'abord de ceux de leurs magistrats qui ont fait partie des recrutements exceptionnels des années 80. Quant à la Cour, ce qui l'attend, c'est une nouvelle augmentation, considérable, des effectifs de la maîtrise. Les maîtres représentent aujourd'hui 57 % de l'effectif du corps présent à la Cour. En 2017, sur les bases actuelles, ils seront 67 %. Et en 2027, ils seraient à peu près 80 %. Avec de telles proportions, de telles répartitions entre les grades, à organisation constante, et sauf à limiter drastiquement les sorties, ce que je ne veux pas, la Cour devient ingérable. Dès lors, à organisation constante, il faudrait, et à la fois, un effort considérable de recrutement par les CRC - pour se remettre à niveau - et un effort de recrutement par la Cour pour retrouver une pyramide des grades convenable. Il sera évidemment impossible de conduire ce double effort simultanément. Pour deux raisons : une raison financière, d'abord, qui va de soi, et une seconde raison tenant à l'objectif d'excellence que nous devons nous fixer et que nous pourrions atteindre dans ces conditions. D'autant qu'on aurait, le moment venu, les plus grandes peines du monde à justifier l'existence de deux corps pour accomplir des métiers qui seraient devenus largement les mêmes. Les propos tenus à Lille par le Président de la République ont en effet clairement tracé la voie d'une gestion par métiers des fonctions publiques et non plus d'une gestion par corps (projet, nous le savons, qui était dans les cartons depuis longtemps). Si le maintien de notre statut de magistrats peut demain continuer à justifier notre spécificité à cet égard, et nous permettre de demeurer un corps, nous risquons, en revanche, de manquer d'arguments pour conserver longtemps la dualité actuelle. Il faut en être bien conscient. De toute façon, nous ne pouvons plus nous permettre de disperser nos forces. Si nous voulons être efficaces et économes, la solution ne pourra être qu'une solution globale, cohérente, conçue autour de la Cour. Cette solution globale est nécessaire si nous voulons faire évoluer notre manière de travailler. Certains magistrats estiment à bon droit qu'une trop grande partie de leur temps de travail est occupée à des tâches qui ne relèvent pas de leur cœur de métier - pour user d'une litote. Nous n'avons plus les moyens de telles déperditions d'énergie. Les magistrats, pour donner leur pleine mesure, devront donc être entourés par davantage de personnels spécialisés, experts ou rapporteurs, recrutés sur compétences précises, mais aussi, bien sûr, par des assistants de contrôle auxquels viendront se joindre des assistants administratifs. Ainsi, les magistrats, tout en gardant une vocation transversale, seront, à titre principal, responsables de l'animation et de la direction d'équipes de contrôle. Nécessaire, cette solution globale est également opportune puisqu'elle offre à la Cour le moyen d'être la garante de l'ensemble des fonds publics. Nous avons une responsabilité en matière de finances publiques. Nous ne pouvons donc nous désintéresser de ce qui se passe dans les collectivités territoriales. Dès lors, en matière de ressources humaines, que peut-on imaginer, que peut-on faire ? Evidemment, s'agissant de la Cour, ne pas se satisfaire des quatre sorties annuelles de l'ENA et des quelques recrutements extérieurs que déclenchent les promotions au « référendariat » et à la maîtrise. Il nous faudra augmenter en conséquence les intégrations annuelles de rapporteurs, admettre probablement dans nos rangs des experts après une certaine durée de service à la Cour, au niveau de l'auditorat de 1ère classe ou du « référendariat » et augmenter les intégrations de membres des CRC. Je dis bien : augmenter car nous en intégrons déjà, en application de divers textes législatifs : 13 au total pour les trois dernières années, soit, plus de 4 par an, sans compter les 10 qui sont détachés à la Cour comme rapporteurs. Et voilà qui conduit immanquablement à l'idée de la réduction du nombre des chambres régionales. Idée que l'on peut envisager d'autant plus sereinement que bien des arguments plaident en sa faveur. Tout le monde sait que nombre des CRC n'ont pas la taille critique pour un fonctionnement optimal. Un regroupement permettrait de mutualiser les fonctions supports et, surtout, de constituer des équipes plus fortes avec des possibilités de spécialisation sur un ou plusieurs métiers. C'est d'autant plus nécessaire que, sans abandonner le contrôle organique, les CRC verront leur activité évoluer de manière significative. Elles exerceront les mêmes métiers que la Cour et les travaux communs augmenteront dans des proportions significatives. Qu'on m'entende bien. Envisager cette perspective ne revient pas à porter un jugement négatif sur le travail qu'elles ont accompli. Bien au contraire. Il s'agit simplement - et objectivement - de constater qu'elles ont assumé la mission qui leur revenait d'éviter que la phase d'installation des nouvelles collectivités territoriales, dotées d'une large autonomie, ne se traduise par des dérapages. Et qu'elles ont ensuite pris toute leur part à l'incontestable amélioration de la gestion locale. Quel sera le statut des nouvelles entités interrégionales qui seraient à créer ? Le statu quo - juridictions autonomes donc - a des défenseurs. On peut imaginer d'autres solutions. On peut s'inspirer de la formule allemande. Il y a d'autres possibilités encore. Etant bien précisé que l'intérêt et la portée de la réforme s'atténuent dès que l'ensemble du système perd en cohérence... L'indépendance de sa seule formation juridictionnelle justifierait-elle ainsi l'autonomie de chaque entité interrégionale ? On peut en discuter. Les membres des corps des CRC auraient naturellement vocation à exercer dans les entités interrégionales ce qui devrait apaiser ceux qui craignent qu'aux auditeurs ou jeunes référendaires soient contraints d'aller y servir. Quant aux magistrats et autres personnels des CRC qui voudraient rester sur les sites qui seraient fermés, des intégrations dans d'autres corps leur seraient proposées et des suivis individualisés de carrière seraient mis en place le moment venu... Nous pourrions ainsi aboutir à un total de l'ordre de 5 à 600 magistrats financiers, soit entre 330 et 400 magistrats effectivement en fonctions. Perspective qui suffirait à démontrer qu'évoquer une fusion des corps est tout à fait impropre. Je n'ai d'ailleurs moi-même jamais utilisé ce terme. Il n'est pas question en effet d'additionner 360 magistrats de la Cour et 360 des CRC. J'ajoute que les problèmes statutaires ne sont pas le cœur de la réforme. Ils n'en sont qu'une conséquence. Et ils mériteront le moment venu d'être traités en toute sérénité.
Mes chers collègues, Mesdames, Messieurs,
Mon intention est de faire acter les grands axes de la réforme pour ce qui concerne nos missions et notre organisation (l’unification du régime juridictionnel pour les ordonnateurs et les comptables, la certification des comptes des collectivités territoriales, et la mise en cohérence du système Cour-Chambres régionales des comptes). Les implications et les modalités de ces trois réformes c'est-à-dire, plus précisément, les questions statutaires, la question du statut des entités interrégionales, ainsi que les calendriers, seront définis dans un deuxième temps, après que nous aurons pris connaissance des résolutions de l'exécutif. Ces trois problèmes étant complexes nous pouvons, sans attendre, commencer à y travailler. Je proposerai, donc dans cette perspective, la mise en place d'un ou plusieurs groupes de travail. Et je ne verrai évidemment que des avantages à ce qu'ils accueillent notamment des représentants de l'Association des magistrats et du Syndicat des juridictions financières. Voilà ce que je souhaitais vous dire... En vous demandant de pardonner la longueur de mon propos. Vous l'aurez compris : les orientations que j'entends soumettre au Président de la République, je les ai définies en pensant d’abord au bien de l’Etat et je crois être de ceux qui peuvent prononcer ce genre de phrase sans que cela prête à sourire. Je me réjouis qu'en l'espèce le bien de la Cour coïncide avec le bien de l'Etat. Une chance historique est offerte à la Cour. Elle doit la saisir. Et puisque, après tout, c'est l’objet de notre rencontre je voudrais adresser à la Cour des vœux très ardents. La Cour pour moi ce n’est pas que ses magistrats, ce n’est pas que ses personnels de contrôle. La Cour c’est chacun et chacune de ceux et celles qui lui consacrent l’essentiel de leur vie. Ceux et celles qui ont fait du bicentenaire le plus beau de tous ceux qui auront été célébrés depuis 1989. Ce qui, somme toute, était bien normal. Parce que c’est la Cour et parce qu'elle le valait bien. »